Fake news et liberté dexpression : la difficile équation

L’Assemblé Nationale a commencé à étudier le projet de loi visant à lutter contre les Fake news

 

L’objectif de la loi

Eviter que les fake news ne perturbent le débat démocratique au point de modifier l’issue d’une élection, comme elles ont réussi à le faire, d’après plusieurs études, aux États-Unis en 2016.

La loi concernerait l’ensemble des médias en ligne et pourrit autoriser un candidat ou un parti à saisir le juge des référés en période électorale afin de diminuer l’impact, voire de supprimer, une fausse information sur les réseaux sociaux, par exemple en faisant bloquer le site qui la publie.

 

Les enjeux

Les tensions ne se cristallisent pas sur la nécessité ou non de lutter contre les fake news. La classe politique, les médias et la société – globalement – soutiennent l’idée qu’il faut combattre les fausses informations qui se propagent comme une traînée de poudre via les réseaux sociaux et manipulent le débat démocratique. Le débat porte plutôt sur la légitimité de l’État de mener cette fronde. Mais aussi sur l’utilité de cette loi, sur son applicabilité, et sur les menaces qu’elle fait potentiellement peser sur la liberté d’expression et sur la démocratie.

 

Mon opinion

Ce n’est pas la première fois dans notre histoire que la technologie bouscule le pouvoir et le prend de vitesse. Il y a plus de 5 siècles, lorsque Gutemberg invente l’imprimerie et que le pouvoir royal comprend la menace que représente cette technologie qui permet de reproduire à l’infini des idées séditieuses, il est déjà trop tard pour reprendre le contrôle des imprimeries. 

La nouvelle bible de Luther sera reproduite à des centaines de milliers d’exemplaires et conduira à la Réforme. Au siècle des Lumières, la diffusion des nouvelles idées scientifiques et philosophiques se propagera très vite. Tous ces producteurs d’une pensée interdite que le pouvoir aurait probablement qualifié de « fake news », ont été servis par une nouvelle technologie que rien ni personne n’avait vraiment anticipé. 

C’est l’éducation, et seule l’éducation, qui finira par éclairer les Hommes. 

Légiférer sur les fake news, c’est donc rechercher un équilibre entre les sanctions à l’égard de ceux qui émettent et l’éducation à l’égard de ceux qui reçoivent. Au plus nous renforcerons le décryptage des fausses informations par les citoyens, au moins nous aurons à interférer dans la liberté d’expression et la liberté de la presse.

De ce point de vue, le projet de loi échoue à trouver cet équilibre. Il s’intéresse plus à sanctionner les producteurs de fake news qu’à valoriser et accompagner les journalistes aux pratiques professionnelles rigoureuses.

Je ne considère pas que ce texte est sans fondement ou illégitime. Pas plus que je ne remets en cause la bonne foi du Gouvernement quand il affirme ne pas vouloir porter atteinte à la liberté de la presse ou à la liberté d’expression. Néanmoins, si cette loi était adoptée : pourrait-elle être mise entre toutes les mains et demeurer éternellement inoffensive ? Je ne le crois pas. Là est le plus grand danger. Si elle se défend de vouloir attenter aux libertés fondamentales, elle rend néanmoins possible cette atteinte par un pouvoir mal intentionné. 

A cet égard, je regrette que ce texte ne dresse pas une digue claire et sans ambiguïté entre ceux qui manipulent ou falsifient l’information et ceux qui sont l’honneur de la presse, celle qui est régie par des règles précises, celle que l’on doit protéger à l’heure où elle est menacée, y compris dans certaines démocraties. 

Cette presse est consubstantielle de notre démocratie. Et lorsque le pouvoir flirte avec l’idée de réguler un contre-pouvoir, c’est l’un des principaux piliers de notre démocratie qui est potentiellement menacé dans sa liberté. Les dérives possibles ne sont pas une vue de l’esprit. 

De la fausse information au délit d’opinion, il n’y a qu’un pas. Du pouvoir de police confié au CSA à l’instauration d’une police des médias, il n’y a qu’un pas aussi.

Quant au juge des référés, qui est le juge de l’évidence, qui peut raisonnablement soutenir qu’il sera capable en 48h de distinguer le vrai du faux ? Qui peut croire sérieusement que l’on peut évaluer l’atteinte portée à la sincérité d’un scrutin quand celui-ci n’a pas eu lieu ?

Rien ne serait pire qu’une « fake legislation » pour lutter contre les fake news. Vous l’avez compris, je ne jouerai pas les apprentis sorciers aux côtés du Gouvernement.