« Rien ne serait pire qu’une « fake legislation » pour lutter contre les fake news »
Retrouvez mon intervention à l’Assemblée Nationale.
Merci Monsieur le Président,
Madame la Ministre, Madame la Rapporteure, Monsieur le Rapporteur, chers collègues.
Nous voilà, en quelque sorte, presque brutalement confrontés au café du commerce qui s’est planétarisé. Et une forme de panique s’empare des Etats qui craignent d’abord pour la stabilité de leurs régimes et de leurs institutions.
Ce n’est pas la première fois dans notre histoire que la technologie bouscule le pouvoir et le prend de vitesse. Il y a plus de 5 siècles, lorsque Gutemberg invente l’imprimerie et que le pouvoir royal comprend la menace que représente cette technologie qui permet de reproduire à l’infini des idées séditieuses, il est déjà trop tard pour reprendre le contrôle des imprimeries.
La nouvelle bible de Luther sera reproduite à des centaines de milliers d’exemplaires et conduira à la Réforme. Au siècle des Lumières, la diffusion des nouvelles idées scientifiques et philosophiques se propagera très vite. Tous ces producteurs d’une pensée interdite que le pouvoir aurait probablement qualifié de « fake news », ont été servis par une nouvelle technologie que rien ni personne n’avait vraiment anticipé.
C’est l’éducation, et seule l’éducation, qui finira par éclairer les Hommes et leur permettre de séparer le bon grain de l’ivraie. Le temps de l’éducation est un temps long. Il a fallu apprendre que la gazette locale n’était pas parole d’évangile. Il a fallu que chaque citoyen se dote des filtres nécessaires dans un pays où la presse d’opinion est largement installée. Il faudra du temps pour que nos contemporains n’avalent pas gloutonnement tout ce que la toile leur donne à lire.
Légiférer sur les fake news, c’est donc rechercher un équilibre entre les sanctions à l’égard de ceux qui émettent et l’éducation à l’égard de ceux qui reçoivent. Au plus nous renforcerons le décryptage des fausses informations par les citoyens, au moins nous aurons à interférer dans la liberté d’expression et la liberté de la presse.
De ce point de vue, votre texte échoue à trouver cet équilibre. Vous vous intéressez plus à sanctionner les producteurs de fake news qu’à valoriser et accompagner les journalistes aux pratiques professionnelles rigoureuses ; vous songez plus à mettre les plateformes à contribution pour traquer le malfaisant qu’à encourager l’éducation de nos enfants au discernement. Vous songez plus à la dissuasion par la répression qu’à l’autorégulation de la profession pourtant déjà engagée.
Permettez-moi également de regretter que votre hâte ne vous ait pas permis de constater à quel point les fake news commettaient des ravages bien au-delà de nos institutions, de nos élections. La santé est l’un des terrains de prédilection des fake news.
C’est un marché énorme. 8 millions de fans pour Santé + magazine qui abreuve les internautes de remèdes miracles contre l’obésité ou le cancer, sans aucune caution médicale et surtout sans jamais être inquiété. La loi ne peut traiter des fake news qui menacent nos scrutins et ignorer celles qui menacent parfois la vie de nos concitoyens.
Il n’est pas question dans mon propos de considérer que votre texte serait sans fondement ou illégitime. Pas plus que je ne veux remettre en cause votre bonne foi quand vous dites ne pas vouloir porter atteinte à la liberté de la presse ou à la liberté d’expression. Et j’ai même la faiblesse de penser que c’est votre prudence sur ce point qui vous a conduit à produire une loi d’abord inefficace.
Mais une question me taraude madame la Ministre, madame la Rapporteure. Et je souhaite que l’on en débatte. Pensez-vous que cette loi, si elle est adoptée, puisse être mise entre toutes les mains et demeurer éternellement inoffensive ? Je ne le crois pas. Là est le plus grand danger. Votre proposition, qu’elle que soit la sincérité de votre approche, porte en elle le risque de dérives graves, de contentieux infinis et de maux bien plus nombreux que les remèdes qu’elle vise à produire.
Si elle se défend de vouloir attenter aux libertés fondamentales, elle rend néanmoins possible cette atteinte par un pouvoir mal intentionné.
A cet égard, nous regrettons que ce texte ne dresse pas une digue claire et sans ambiguïté entre ceux qui manipulent ou falsifient l’information et ceux qui sont l’honneur de la presse, celle qui est régie par des règles précises, celle que l’on doit protéger à l’heure où elle est menacée, y compris dans certaines démocraties.
Cette presse est consubstantielle de notre démocratie. Et lorsque le pouvoir flirte avec l’idée de réguler un contre-pouvoir, c’est l’un des principaux piliers de notre démocratie qui est potentiellement menacé dans sa liberté. Les dérives possibles ne sont pas une vue de l’esprit.
De la fausse information au délit d’opinion, il n’y a qu’un pas.
Du pouvoir de police confié au CSA à l’instauration d’une police des médias, il n’y a qu’un pas aussi.
Quant au juge des référés, qui est le juge de l’évidence, qui peut raisonnablement soutenir qu’il sera capable en 48h de distinguer le vrai du faux ? Qui peut croire sérieusement que l’on peut évaluer l’atteinte portée à la sincérité d’un scrutin quand celui-ci n’a pas eu lieu ?
Alors, oui, la précipitation dans laquelle vous agissez risque de produire un cadre légal au mieux inefficace, au pire dangereux. Il ne faut jamais donner aux Français l’illusion d’agir car ce serait un aveu d’impuissance dévastateur. Rien ne serait pire qu’une « fake legislation » pour lutter contre les fake news.
Vous l’avez compris, nous ne jouerons pas les apprentis sorciers à vos côtés, pas plus que nous ne cautionnerons un texte qui s’avérera très vite sans effets.
Proposition de loi FakeNews – Intervention en séance à l'Assemblée nationale
Pourquoi les Députés Nouvelle Gauche ne joueront pas les apprentis sorciers et ne cautionneront pas la #PPLFakeNews ? 📺Retrouvez ici mon intervention à l'Assemblée nationale en intégralité👇——Merci Monsieur le Président,Madame la Ministre, Madame la Rapporteure, Monsieur le Rapporteur, chers collègues.Nous voilà, en quelque sorte, presque brutalement confrontés au café du commerce qui s’est planétarisé. Et une forme de panique s’empare des Etats qui craignent d’abord pour la stabilité de leurs régimes et de leurs institutions. Ce n’est pas la première fois dans notre histoire que la technologie bouscule le pouvoir et le prend de vitesse. Il y a plus de 5 siècles, lorsque Gutemberg invente l’imprimerie et que le pouvoir royal comprend la menace que représente cette technologie qui permet de reproduire à l’infini des idées séditieuses, il est déjà trop tard pour reprendre le contrôle des imprimeries. La nouvelle bible de Luther sera reproduite à des centaines de milliers d’exemplaires et conduira à la Réforme. Au siècle des Lumières, la diffusion des nouvelles idées scientifiques et philosophiques se propagera très vite. Tous ces producteurs d’une pensée interdite que le pouvoir aurait probablement qualifié de « fake news », ont été servis par une nouvelle technologie que rien ni personne n’avait vraiment anticipé. C’est l’éducation, et seule l’éducation, qui finira par éclairer les Hommes et leur permettre de séparer le bon grain de l’ivraie. Le temps de l'éducation est un temps long. Il a fallu apprendre que la gazette locale n’était pas parole d’évangile. Il a fallu que chaque citoyen se dote des filtres nécessaires dans un pays où la presse d’opinion est largement installée. Il faudra du temps pour que nos contemporains n’avalent pas gloutonnement tout ce que la toile leur donne à lire. Légiférer sur les fake news, c’est donc rechercher un équilibre entre les sanctions à l’égard de ceux qui émettent et l’éducation à l’égard de ceux qui reçoivent. Au plus nous renforcerons le décryptage des fausses informations par les citoyens, au moins nous aurons à interférer dans la liberté d’expression et la liberté de la presse.De ce point de vue, votre texte échoue à trouver cet équilibre. Vous vous intéressez plus à sanctionner les producteurs de fake news qu’à valoriser et accompagner les journalistes aux pratiques professionnelles rigoureuses ; vous songez plus à mettre les plateformes à contribution pour traquer le malfaisant qu’à encourager l’éducation de nos enfants au discernement. Vous songez plus à la dissuasion par la répression qu’à l’autorégulation de la profession pourtant déjà engagée.Permettez-moi également de regretter que votre hâte ne vous ait pas permis de constater à quel point les fake news commettaient des ravages bien au-delà de nos institutions, de nos élections. La santé est l’un des terrains de prédilection des fake news. C’est un marché énorme. 8 millions de fans pour Santé + magazine qui abreuve les internautes de remèdes miracles contre l’obésité ou le cancer, sans aucune caution médicale et surtout sans jamais être inquiété. La loi ne peut traiter des fake news qui menacent nos scrutins et ignorer celles qui menacent parfois la vie de nos concitoyens. Il n’est pas question dans mon propos de considérer que votre texte serait sans fondement ou illégitime. Pas plus que je ne veux remettre en cause votre bonne foi quand vous dites ne pas vouloir porter atteinte à la liberté de la presse ou à la liberté d’expression. Et j’ai même la faiblesse de penser que c’est votre prudence sur ce point qui vous a conduit à produire une loi d’abord inefficace. Mais une question me taraude madame la Ministre, madame la Rapporteure. Et je souhaite que l’on en débatte. Pensez-vous que cette loi, si elle est adoptée, puisse être mise entre toutes les mains et demeurer éternellement inoffensive ? Je ne le crois pas. Là est le plus grand danger. Votre proposition, qu’elle que soit la sincérité de votre approche, porte en elle le risque de dérives graves, de contentieux infinis et de maux bien plus nombreux que les remèdes qu’elle vise à produire. Si elle se défend de vouloir attenter aux libertés fondamentales, elle rend néanmoins possible cette atteinte par un pouvoir mal intentionné. A cet égard, nous regrettons que ce texte ne dresse pas une digue claire et sans ambiguïté entre ceux qui manipulent ou falsifient l’information et ceux qui sont l’honneur de la presse, celle qui est régie par des règles précises, celle que l’on doit protéger à l’heure où elle est menacée, y compris dans certaines démocraties. Cette presse est consubstantielle de notre démocratie. Et lorsque le pouvoir flirte avec l’idée de réguler un contre-pouvoir, c’est l’un des principaux piliers de notre démocratie qui est potentiellement menacé dans sa liberté. Les dérives possibles ne sont pas une vue de l’esprit. De la fausse information au délit d’opinion, il n’y a qu’un pas. Du pouvoir de police confié au CSA à l’instauration d’une police des médias, il n’y a qu’un pas aussi. Quant au juge des référés, qui est le juge de l’évidence, qui peut raisonnablement soutenir qu’il sera capable en 48h de distinguer le vrai du faux ? Qui peut croire sérieusement que l’on peut évaluer l’atteinte portée à la sincérité d’un scrutin quand celui-ci n’a pas eu lieu ?Alors, oui, la précipitation dans laquelle vous agissez risque de produire un cadre légal au mieux inefficace, au pire dangereux. Il ne faut jamais donner aux Français l'illusion d’agir car ce serait un aveu d’impuissance dévastateur. Rien ne serait pire qu’une « fake legislation » pour lutter contre les fake news. Vous l’avez compris, nous ne jouerons pas les apprentis sorciers à vos côtés, pas plus que nous ne cautionnerons un texte qui s’avérera très vite sans effets.
Publiée par Hervé Saulignac, Député de l'Ardèche sur vendredi 8 juin 2018
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