Avec mes collègues députés et sénateurs socialistes, dont Olivier Jacquin et Christine Pirès-Beaune, nous appelons, dans une tribune au « Monde », à mettre fin aux déséquilibres des concessions autoroutières en auditant les contrats, en vue d’engager un processus de résiliation.
La vente des participations de l’Etat dans les sociétés d’autoroutes en 2005 a donné naissance à un secteur d’activité dominé par de puissantes sociétés concessionnaires. Vinci, Eiffage ou Abertis exploitent à elles seules plus de 90 % du réseau.
Le 11 octobre 2005, Thierry Breton, ministre de l’économie, déclarait : « Ceux qui pensent que le seul fait que l’Etat soit actionnaire garantit les missions de service public n’ont rien compris ! C’est le contrat et non l’actionnaire qui établit les responsabilités d’une entreprise. » Certes. Mais si le réseau est en excellent état, l’augmentation des tarifs et les bénéfices enregistrés par les concessionnaires sont hors de toute proportion : 23,4 milliards de dividendes ont été versés depuis 2006.
Les déséquilibres des contrats en faveur des concessionnaires sont soulignés rapport après rapport par le Parlement, l’Autorité de la concurrence, la Cour des comptes, des experts indépendants… Cet été encore, une commission d’enquête du Sénat concluait à un risque sérieux de surrémunération des concessionnaires de 40 milliards d’euros, avec une rentabilité qui doublera sur la période 2020-2036, comparativement à 2005-2020, pour atteindre des niveaux stratosphériques. Certaines concessions atteindraient leur profitabilité cible dès 2022, soit plus de dix ans avant leur terme.
Quant à l’Autorité de régulation des transports, pourtant chargée d’un contrôle de ces contrats, elle confesse dans son rapport de 2020 ne pas avoir pu en établir fidèlement la rentabilité globale. Dans deux récents articles, les juristes Jean-Baptiste Vila et Yann Wels (« L’équilibre économique des autoroutes et la couverture du risque : une lapalissade juridique étatisée », et « Convoquons les Etats généraux du droit pour les concessions d’autoroutes ! », « La Semaine juridique », n° 48) contestent la pertinence du modèle utilisé pour tenter d’obtenir cette estimation et s’interrogent sur la légalité de mécanismes financiers importants comme le mode de fixation des tarifs.
Incurie
Il semble aujourd’hui impossible de déterminer l’équilibre économique des concessions, donnée pourtant essentielle à leur légalité et consubstantielle à l’évaluation de la pertinence de tous leurs paramètres constitutifs, à commencer par les tarifs. Contraint par la complexité des contrats, « des monstres » dixit Elisabeth Borne [en juin 2020, à l’époque ministre de la transition écologique et solidaire], l’Etat semble avoir perdu toute volonté sérieuse d’agir. Le sujet n’est pas tant le recours à des concessions que l’incurie actuelle de contrats trop souvent modifiés et mal négociés dès 2005.
Entre données économiques viciées et enjeux juridiques irrésolus, plus personne ne semble capable de dire ce que sont les responsabilités dont parlait Thierry Breton. La préservation de l’intérêt général n’est plus assurée et il est temps d’arrêter les frais. L’Etat doit reconnaître l’ampleur du problème et y apporter une réponse en renégociant voire en mettant fin à ces hydres juridiques.
Les données de l’équation sont connues. La fin des contrats entre 2031 et 2036 permet de travailler à la création d’un nouveau système d’exploitation de nos autoroutes. Parlementaires responsables, nous proposons une méthode et des pistes de réflexion :
- Demander sans délai un avis au Conseil d’Etat pour lever les doutes concernant la légalité des contrats, comme nous le suggérons dans une proposition de résolution déposée à l’Assemblée.
Prise en compte de l’usager
- Mettre en place un groupe d’audit des contrats qui aborde l’ensemble des aspects juridiques, comptables, économiques, et qui dispose pour ce faire de l’ensemble des données et moyens nécessaires.
- Etablir le coût actualisé d’une résiliation anticipée des contrats afin de les renégocier, voire de les rompre, si les concessionnaires ont bénéficié d’avantages financiers indus dans des proportions justifiant qu’aucune compensation ne soit versée.
L’heure d’une maîtrise publique moderne des services publics est venue. Elle doit s’articuler autour de nouvelles relations contractuelles entre les gestionnaires des infrastructures de transports et la puissance publique, avec au cœur la prise en compte de l’usager, les approches multimodales et intermodales des mobilités et la transition écologique.
Nous ne prétendons pas apporter toutes les réponses, mais nous affirmons que l’incapacité à en produire est irresponsable et même suspect. La balle est dans le camp du gouvernement.
Liste des parlementaires signataires :
- Christine PIRES-BEAUNE, Députée PS du Puy-de-Dôme, Auteure de la proposition de résolution à l’Assemblée nationale, Secrétaire national du Parti socialiste au budget et à la fiscalité
- Olivier JACQUIN, Sénateur PS de Meurthe-et-Moselle, Membre de la commission d’enquête du Sénat, Secrétaire national du Parti socialiste aux mobilités et aux transports
- Olivier FAURE, Premier secrétaire du Parti Socialiste, Député de Seine-et-Marne
- Patrick KANNER, Président du groupe socialiste, écologiste et républicain du Sénat, Sénateur PS du Nord, Ancien Ministre
- Patrice JOLY, Sénateur PS de la Nièvre, Vice-président de la commission d’enquête du Sénat
- Michel DAGBERT, Sénateur PS du Pas-de-Calais, Vice-président de la commission d’enquête du Sénat
- Viviane ARTIGALAS, Sénatrice PS des Hautes-Pyrénées
- David ASSOULINE, Sénateur PS de Paris
- Marie-Noëlle BATTISTEL, Députée PS de l’Isère
- Florence BLATRIX-CONTAT, Sénatrice de l’Ain
- Gisèle BIEMOURET, Députée PS du Gers
- Joel BIGOT, Sénateur PS du Maine-et-Loire
- Hussein BOURGI, Sénateur PS de l’Hérault
- Jean-Louis BRICOUT, Député PS de l’Aisne
- Isabelle BRIQUET, Sénatrice PS de la Haute-Vienne
- Rémi CARDON, Sénateur PS de la Somme
- Marie-Arlette CARLOTTI, Sénatrice PS des Bouches-du-Rhône, Ancienne Ministre
- Catherine CONCONNE, Sénatrice PS de la Martinique
- Thierry COZIC, Sénateur PS de la Sarthe
- Alain DAVID, Député PS de la Gironde
- Gilbert-Luc DEVINAZ, Sénateur PS de la Métropole de Lyon et du Nouveau Rhône
- Laurence DUMONT, Députée PS du Calvados
- Vincent EBLE, Sénateur PS de Seine-et-Marne, Ancien président de la commission des finances
- Jean-Luc FICHET, Sénateur PS du Finistère
- Guillaume GAROT, Député PS de la Mayenne, Ancien Ministre
- Hervé GILLE, Sénateur PS de la Gironde
- David HABIB, Député PS des Pyrénées-Atlantiques
- Laurence HARRIBEY, Sénatrice PS de la Gironde
- Jean-Michel HOULLEGATTE, Sénateur PS de la Manche
- Chantal JOURDAN, Députée PS de l’Orne
- Régis JUANICO, Député Gs de la Loire
- Marietta KARAMANLI, Députée PS de la Sarthe
- Eric KERROUCHE, Sénateur PS des Landes
- Annie LE HOUEROU, Sénatrice PS des Côtes d’Armor
- Christian HUTIN, Député MDC du Nord
- Claudine LEPAGE, Sénatrice PS des Français établis hors de France
- Serge LETCHIMY, Député PS de la Martinique
- Monique LUBIN, Sénatrice PS des Landes
- Didier MARIE, Sénateur PS de Seine-Maritime
- Serge MERILLOU, Sénateur PS de la Dordogne
- Jean-Jacques MICHAU, Sénateur PS de l’Ariège
- Marie-Pierre MONIER, Sénatrice PS de la Drôme
- Philippe NAILLET, Député PS de la Réunion
- Sébastien PLA, Sénateur PS de l’Aude
- Dominique POTIER, Député PS de Meurthe-et-Moselle
- Emilienne POUMIROL, Sénatrice PS de la Haute-Garonne
- Claudia ROUAUX, Députée PS d’Ille-et-Vilaine
- Isabelle SANTIAGO, Députée PS du Val-de-Marne
- Hervé SAULIGNAC, Député PS de l’Ardèche
- Jean-Pierre SUEUR, Sénateur PS du Loiret, Ancien Ministre
- Rachid TEMAL, Sénateur PS du Val d’Oise
- Jean-Claude TISSOT, Sénateur PS de la Loire
- Jean-Marc TODESCHINI, Sénateur PS de la Moselle, Ancien Ministre
- Sylvie TOLMONT, Députée PS de la Sarthe
- Cécile UNTERMAIER, Députée PS de Saône-et-Loire
- Boris VALLAUD, Député PS des Landes, Secrétaire national du Parti socialiste chargé du projet
- Mickael VALLET, Sénateur PS de la Charente-Maritime
- Sabine VAN HEGHE, Sénatrice MDC du Pas-de-Calais
- Yannick VAUGRENARD, Sénateur PS de Loire-Atlantique
- Michèle VICTORY, Députée PS de l’Ardèche
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